Amel Bennys : Time is Now

20 Octobre - 10 Décembre 2022
Présentation

Certains verront dans les peintures d'Amel Bennys des références à Robert Rauschenberg ou à Mark Rothko, d'autres des gestes empruntés aux expressionnistes abstraits ou aux peintres de l'abstraction géométrique. Pourtant, les titres de ses peintures indiquent qu'ici, il n'est pas seulement question de formes. Fucking tired to be broke, For your eyes only, Stop to cry babe : Amel Bennys est une artiste que la prose n'effraie pas. Il me semble même que, pour elle, les tergiversations poétiques ne sont pas essentielles. Qu'importe donc la syntaxe qu'élaborent entre eux les aplats de couleurs ; pourvu qu'ils puissent faire émerger une forme architecturale, ou mieux encore, une charpente. Car depuis l'enfance, la vie d'Amel Bennys est rythmée par les déplacements. Elle est née à Tunis, a grandi et étudié à Paris puis et partie s'installer à New York où elle a habité sept ans avant d'être finalement bannie des États-Unis en 2019 - sans aucune sommation et sans qu'on ne lui donne la moindre explication. Toute sa vie, Amel Bennys a su trouver en elle la stabilité nécessaire à son maintien, à sa survie. Pour moi, ses oeuvres sont les preuves de son obstination.

Dans son atelier, les toiles ne sont pas seules. Une multitude de constructions remplit aussi l'espace. Si bien qu'à première vue, il nous semblerait rentrer dans l'atelier d'une sculptrice plutôt que dans celui d'une peintre. Les édifices qu'Amel Bennys conçoit sont des agrégats de matériaux précaires qu'elle a ramassés ça et là : il y a des morceaux de bois, des tiges de bétons, toutes sortes de rebuts. Comme elle, ces sculptures défient la gravité. Parfois montées sur des roulettes, elles attendent qu'une fois de plus, on les déplace. Lorsqu'on les met côte à côte, ces bâtisses forment une sorte de paysage urbain. Une fois isolées, nombreuses sont celles qui rappellent les bâtisses d'El Tabek, le village tunisien où l'artiste a résidé après son départ de New York, alors que la pandémie débutait. Là-bas, des armatures en fer dépassent des maisons pour permettre aux propriétaires d'indéfiniment faire croître les espaces qui les composent. Très vite, Amel Bennys a emprunté ce motif à la ville et l'a intégré à son travail. Ces excroissances métalliques sont la preuve d'un mouvement permanent, d'une continuité à laquelle aucune épreuve ne peut mettre fin.

Quand Amel Bennys parle de ses sculptures, elle évoque les refuges des sans-abris ou les cabanes dans lesquelles jouent les enfants. Mais à mieux regarder ce paysage urbain qu'elle construit, je ne peux m'empêcher de confondre ses battisses avec des architectures anthropomorphes, des colonnes vertébrales. Les oeuvres d'Amel Bennys ne sont pas le résultat de pulsions cathartiques. Au contraire, les peintures et les sculptures de l'artiste sont méticuleusement mises sur toile et sur pied. Elles sont le fruit d'un processus qui n'a rien de la purge. Amel Bennys s'ancre dans le sol, elle laisse une trace définitive de son passage.

 

Camille Bardin, octobre 2022

Texte de l'exposition Time is Now

Vues de l'exposition